Septembre 1946, les Festivités sont lancées!

En 1946, au lendemain des évènements historiques qui ont laissé le monde meurtri, la renaissance du Festival de Cannes, dont la première édition avait été empêchée par la déclaration de guerre en 1939, apparait comme une occasion de célébrer l’apaisement, de se réunir et aussi de s’amuser entre nations autour du Septième Art. Grâce à la persévérance de ses organisateurs, la grande fête du cinéma commence enfin! (www.festival-cannes.com)


Grand Prix du Festival de Cannes pour l’Italie – Mise en scène de Roberto Rossellini

C’est parce qu’il possède une technique parfaite que le jeune metteur en scène italien Roberto Rossellini a pu se libérer des convensions habituelles. Par ce moyen, il a atteint dans Rome ville ouverte, grand prix international de Cannes pour l’Italie, une image émouvante de la vie des quelques héros italiens communistes ou catholiques qui se débattirent et luttèrent contre l’emprise morale et matérielle d’un ennemi doublement dangereux.

Les scènes tragiques ou amusantes sont traduites directement: nous les vivons avec nos yeux et non à travers l’objectif de la caméra. Les acteurs sont inconnus du spectateur français.

Et ces visages «neufs» imprègnent le film d’une véracité plus poignante. Ce sont Anna Magnani, dans le rôle de Anne-Marie, femme du peuple cachant ses souffrances sous une dureté apparente; Àldo Fabrizi dans le rôle du curé Don Pietro, qui vit son personnage comme rarement des acteurs l’ont vécu; Marcello Pagliero dans le rôle de Manfredi, communiste fanatique, héroïque avec simplicité; Harry Feist dans le rôle de Bergmann, SS cruel et logique avec froideur; Francesco Crandjacquet dans le rôle de Francesco. […]

Avec Rome, ville ouverte, Roberto Rossellini a prouvé que ce ne sont pas toujours les noms des acteurs qui font le film, suivant la formule américaine. Pour sauvegarder son indépendance. il a réalisé toute sa fortune personnelle afin d’être son propre producteur. Ainsi a-t-il pu imprimer sa marque sur une œuvre qui se présente à nous comme un des meilleurs films de résistance que nous ayons vus. (M. B.)


Critique – «Rome ville ouverte» ou la lumière nous vient d’Italie

Onsavait bien que «Espoir» de Malraux ne serait pas sans lendemain. Mais on commençait tout de même à trouver le temps long.

L’exemple donné par Malraux n’aura pas été vain. Voici, en effet, que nous arrivent d’Italie deux films extraordinaires, deux films bouleversants et qui nous donnent une drôle de leçon: Rome ville ouverte et Païsa de Rossellini.

Je ne vous parlerai aujourd’hui que de Rome ville ouverte puisque Païsa, le plus remarquable à mon sens, n’a pas encore été projeté devant le public. Tout de suite, je vous le dit: j’ai eu le souffle coupé par ces deux morceaux de cinéma pur.

M. Rossellini a tourné son film à la sauvette, sans aucun moyen. Il a du vendre ses meubles pour le terminer. Tous ses acteurs (à l’exception de Fabrizi – un diseur de monologue qui se montre l’égal des plus grands – et d’une petite chanteuse de music-hall: Anna Magnani, qui peut être tenue comme l’une des plus saisissantes actrices du nouveau monde et de l’ancien), tous ses acteurs ont été pris à tout hasard dans la foule.

Et l’on ne se trouve plus ici devant ces vedettes exigeantes et totalitaires, mais devant des types épatants qui tournent dans l’enthousiasme et qui ont le feu sacré! Ils se donnent complètement, ils se fichent de leur profil, ils ne songent ni à l’opérateur ni à leur standing personnel. Ah! Oui, voilà du cinéma, voilà de l’art, voilà du génie!

Et c’est une fois de plus que l’argent corrompt les meilleurs. La pauvreté, c’est tout de même la jeunesse, la jeunesse qui se risque, la jeunesse qui ose, la jeunesse qui n’a rien perdre, la jeunesse inconsciente et téméraire. M. Rossellini nous conte un épisode de la résistance italienne avec Gestapo, torture, attentats exécution etc.

Les gens vous disent:

– Les films sur la résistance, on en a par dessus la tête… …Mais ils seront bien obligés d’aller voir Rome ville ouverte. Ils ne pourront pas faire autrement. S’ils ne voyaient pas ce film, ils ne pourraient plus parler de cinéma. Rome ville ouverte est un film essentiel. Un film-clef. Un film historique.

Parce qu’il ne s’embarrasse pas de préjugés, parce qu’il n’a pas pris d’habitudes, parce qu’il est un homme libre, M. Rossellini vient de rendre au cinéma un grand service.

Il a rappelé tout le monde à l’ordre:

– Qu’avez vous tous à courir après les vedettes, à faire de la photographie léchée, à fabriquer des scénarios en observant des lois imbéciles édictées par des crétins, à vous figer dans des moules de série… Vous ne voyez pas que vous vivez de poncifs et que vous crevez étouffés… Il y a trente ans que vous êtes enfermés dans des studios…Vous n’avez donc pas envie d’aller voir ce qui se passe dehors.

Vous avez perdu de vue la réalité. Le cinéma grâce à Rossellini retourne à ses sources. Son film est une succession de miracles. Il a enregistré le son après coup, car il ne pouvait pas s’offrir le luxe d’un camion sonore. Et l’on s’en moque complètement.

L’intérêt du film est ailleurs. Il est dans cette vérité de tous les instants, surprise dans le simple appareil d’une beauté qu’on vient d’arracher à la vie. On n’oubliera pas de sitôt cette maison ouvrière avec ses escaliers pathétiques, ses drames si simples, si dépouillés, si familiers, pourrait-on dire.

On n’oubliera pas la nuit de l’interrogatoire avec la salle de torture d’un côté, la salle de jeu de l’autre, et ce bureau blafard entre les deux, ce cocktail de sang et d’alcool et cette odeur de cigare humide… On n’oubliera pas la perquisition et cette foule sourdement révoltée. On n’assiste pas à un film. On est mêlé à une action, on y participe… Chaque fois qu’un personnage inconnu s’introduit chez ces résistants on a envie de crier: «Attention, c’est un espion!» et on a l’impression qu’on va être, d’un instant à l’autre, arraché de son fauteuil et jeté en prison!

M. Rossellini, avec son film, a bien servi la cause de la paix. Il nous a restitué le vrai visage du peuple italien, si cruellement déformé par les politiciens, les mauvais acteurs et les ténors.

L’Italie, pour nous c’était les manifestations empathiques de D’Annunzio, les spectaculaires redondances de Mussolini, les gabiriades, les scipionnades à la Maciste quatre deux de Carmine Gallone ou de Genina, c’était l’orgie romaine de Quo vadis et Rodomonte tiré à un million d’exemplaires. Il nous faut réviser toutes nos fausses conceptions.

Le film de Rossellini, c’est un verre d’eau fraîche qu’on jette à la figure d’un ivrogne pour le dégriser.

– Il faut revenir à soi, nous regarder en face, et nous juger sans idée préconçue… Nous avons des défauts, irritants sans doute, mais voici nos qualités… Fais la part des choses et juges-nous sur des évidences.
– Oui le cinéma est un moyen de faire connaissance. Il a beaucoup menti, beaucoup triché.

Avec M. Rossellini, il se met à table et nous dit la vérité. (Le Canard Enchaîné)


Au film des jours

A l’occasion de la présentation à Paris de Rome ville ouverte, le grand film italien sur la résistance, qui a obtenu un premier prix à Cannes, une réception a été donnée en l’honneur des vedettes et des créateurs de cette œuvre. Sur notre cliché, la grande actrice Anna Magnani e le metteur en scène Roberto Rossellini (à droite) s’entretiennent avec Marcel Blistène, réalisateur de Macadam.

Magnani e Rossellini Festival di Cannes