Sous l’imperméable d’un rouge agressif, ce pantalon, et sur les cheveux largement dénoués, ce nœud de petite fille; cette montre-bracelet d’homme et cette énorme bague de diamant; l’or clair de ce regard d’enfant et la meurtrissure de ces larges cernes d’ombre… En elle, tout est contraste. Tout détonne.

Et puis, elle réclame une cigarette; d’un geste tendre, bourru, elle caresse le chien qui somnole à ses côtés.

«C’est un basset, non, une bassette, une vieille bassette comme moi”; elle rit, dans sa voix cascadante, les “r” roulent comme galets polis.

Et tout s’équilibre, tout s’ordonne autour d’une vérité profonde, d’une tranquille, d’une indéfectible fidélité à soi-même.

«Tiens! Cest joli ce que vous portez là… Où l’avez-vous acheté? Oh! Et puis non, inutile. Je n’irai pas. Je m’habille n’importe comment. Courir les magasins, c’est trop embêtant. Alors? De quoi voulez-vous que je vous parle? Hein? De mes amours? Je n’en ai pas. Je suis seule. Je vis seule. Je travaille comme un homme, et de temps en temps j’aimerais bien être une femme. Voilà. Quoi d’autre?»

A vrai dire, je ne vois pas, je ne vois plus. Si, tout de même: la Louve, ce personnage de Verga qu’elle incarnera ce soir à Sarah-Bernhardt.

«Eh bien !… La Lupa, c’est come si dice?» Elle fronce son nez finement ciselé, son nez de médaille. «C’est un bon rôle. Voilà. C’est une femme qui est folle d’amour, qui donne tout au garçon qu’elle aime, jusqu’à sa propre fille. C’est une espèce de Phèdre sicilienne. Voilà. Et puis?»

Et puis rien. Tout ce qui est vraiment personnel est naturel. Pas question ici d’un interrogatoire. Bavardons.

Oui, elle est contente de revenir enfin à la scène. Dix ans dans les seuls studios, c’est long, mais c’est facile. Tandis que le théâtre… «O Dio…»

Oui, elle adore les bêtes et elle déteste ceux qui ne les aiment pas, mieux elle en a peur.

Oui, elle lit pêle-mêle, quand elle en a le temps, Tchékov, Faulkner, Moravia. Oui, Fellini c’est le plus grand. Non, les voyages, elle a horreur de ça: «Toutes ces valises… Les défaire, ça n’est rien, mais les refaire…»

Oui, elle ne se sent bien que chez elle, à Rome, ou dans sa propriété de San-Felice-Circeo, près de Terracina: là, elle reçoit ses amis. «Oh!, ils ne sont pas nombreux, un gruppo molto ridotto.»

Elle fait la cuisine ou ne fait rien.
Elle existe, tout simplement…

C. Sarraute